Tu parles beaucoup de Steven, qui est mort il y a treize ans, tu as déjà ressenti sa présence ?
J’entendais sa voix presqu’à chaque réveil jusqu’à il y a quelques mois. Depuis la livraison du manuscrit final, je ne l’entends plus.
Qu’est-ce qu’elle te disait cette voix ?
Je ne pourrai l’expliquer.
À ton avis, que penserait Steven de ce livre ?
Je n’en ai strictement aucune idée. Je mets tellement de moi dedans et c’est pour lui. Je vis pour lui depuis des années. Je regrette de vivre ce qu’il ne vit pas. J’espère qu’il pourrait en être heureux et fier mais j’ai toujours cette appréhension que ce ne soit pas suffisant. Je suis partagé.
S’il était face à toi, qu’est-ce que tu aimerais lui dire ?
Je regrette.
Tu regrettes quoi ?
Ma vie à la place de la sienne. Autant je n’ai pas peur de la mort autant je ne la souhaite pas non plus, c’est important de le préciser. Mais je n’estime pas ma vie assez importante pour la vivre à sa place.
Mais vous aviez fait un pacte, l’un et l’autre vous deviez vous battre pour l’autre. Ça aurait pu être l’inverse.
Tout à fait.
Ça ne t’aide pas à te déculpabiliser ?
Non pas du tout. Je suis très proche de sa famille. Son papa est décédé il y a moins d’un an, j’ai vu sa mère au moment des fêtes de fin d’année. On a passé toute une journée ensemble. Je n’ai pas de problème vis-à-vis de l’échéance qui m’a été annoncée, on m’a parlé de 24 ans. Steven est décédé à 12 ans. C’est le double de son âge. Je ne me sens pas légitime d’avoir le double de son vécu. C’est une réelle difficulté. Je ne vois pas à quel moment je pourrais être heureux d’avoir vécu le double de son âge. Je ne souhaite pas partir. Je dois vivre pour lui, j’ai une promesse à tenir.
Tu fais beaucoup allusion à la notion du temps. C’est un enseignement dû à la maladie ? Tu peux nous expliquer ?
Poussé par la maladie certes mais le conditionnement on l’a tous sur Terre. On ne vit que par le temps. Le temps c’est de l’argent. On doit passer plus de temps avec notre famille. Tout est conditionné par le temps. À mes yeux c’est plus un frein qu’autre chose. Je ne donne jamais de temporalité à la chose que je veux faire. Je ne donne jamais de notion de temps. Je ne me dis jamais dans un an je vais être à tel endroit. Si j’y suis avant ou après tant mieux ! Le temps apporte tellement de déceptions. Si on fixe l’été pour se retrouver en famille à tel endroit et que finalement les retrouvailles n’ont pas lieu, tout le monde est déçu. Ce qui compte c’est d’aller à tel endroit, pas forcément l’été, trois mois avant ou trois mois après on peut aussi.
C’est ton état qui peut changer et qui fluctue en fonction de la maladie ?
Oui ça joue totalement. Je vis vraiment l’instant présent constamment. Ce n’est pas non plus la meilleure formule que de vivre l’instant présent.
Pourquoi ?
Je fais toujours des projets mais non fixés. Ils peuvent changer. J’adorerais aller à tel endroit, c’est mon objectif mais finalement en parcourant un bout de route pour y aller, je change d’objectif. Ça me rapproche d’un autre et c’est ce dernier que je veux atteindre. Pour une vie sociale, c’est très compliqué.
Mais se projeter trop dans le futur ne nous fait pas oublier ce qu’on vit présentement ?
J’en suis certain. Certaines personnes me disent qu’elles peuvent mourir demain en se faisant écraser par exemple. Ça m’attriste parce qu’elles parlent de demain. Ça prouve qu’aujourd’hui, elles sont en retard sur leur vie. Pour moi, c’est un vrai problème qu’ont les gens aujourd’hui, reporter. Il ne faut pas reporter.
Ça pourrait être un message, celui du livre. Vivre à fond l’instant présent.
Exactement.
Tout en se mettant – comme tu l’expliquais – des objectifs mais être là présentement à faire ce que l’on fait, à faire ce que l’on aime faire…
Oui.
Découvrez la suite demain…
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https://valeriemotte.com/axel-gouriou-2-5/
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