On dit que vous êtes fondeur en chocolat…
Je suis fondeur en chocolat parce que je ne fabrique pas mes couvertures, je les fais faire et m’en sers ensuite pour réaliser des bonbons de chocolat, de la pâtisserie et de la confiserie.
Du coup, que représente, pour vous, le chocolat ?
Quand j’ai commencé à travailler le chocolat, ce n’était pas forcément une passion. J’ai fait ça parce que j’ai eu une fille et je voulais qu’elle ait les plus beaux anniversaires. Je me suis pris au jeu – un peu comme quand j’ai démarré la cuisine – le produit m’a plu et je me suis lancé.
Vous avez un parcours atypique, très intéressant. Pouvez-vous le raconter ?
Le parcours est assez simple. J’arrive à Paris, je ne sais pas trop quoi faire et débute dans la restauration, côté salle. Ma carrière de Chef démarre treize ans plus tard sur un défi. Ma compagne me dit, en sortant de boîte, devant la vitrine d’un lieu disponible : « tu n’es pas capable de l’avoir ! ». Je lui réponds : « Ah bon ? ». Quinze jours après, je reviens vers elle avec les clés. Elle me demande ce que je vais faire et je lui réponds : « un restaurant ». N’ayant pas d’argent, je ne pouvais pas prendre un Chef donc je me suis mis en cuisine… Cette aventure a duré quatre ans j’ai été pas mal remarqué par la presse, les critiques… et puis j’ai eu envie de changer. J’ai revendu mon restaurant et je suis passé à autre chose.
Vous avez des souvenirs de la cuisine de votre enfance ?
Aucun souvenir. Je me suis créé mes souvenirs à force d’apprendre, au fil de mes connaissances et de mes découvertes.
Aujourd’hui on pourrait croire que vous êtes plus sucré que salé mais est-ce la réalité ?
Non je suis plus salé. Vous remarquerez que mes desserts ne sont pas sucrés. Je déteste le sucre.
Quelles sont vos spécialités ?
Je n’en ai pas.
Vous voulez dire que ça évolue ?
Oui et je compte encore faire évoluer l’endroit parce que ça fait dix ans que nous sommes là. Je veux encore amener autre chose. Je veux que ce soit un lieu qui vive encore un peu plus. Quand vous avez une affaire, il faut pouvoir se renouveler. Si vous n’avez pas cette possibilité, vous vous noyez, vous n’avez plus envie. Je ne veux pas perdre cette envie. Si je la perds, j’arrête tout.
Vous êtes un grand créatif ?
Je n’aime pas le mot mais j’ai envie d’autre chose, je ne sais pas comment l’expliquer.
Vous avez envie de vous émerveiller comme les enfants qui se posent dans l’instant présent ?
Oui j’ai toujours envie de ça.
Vous vivez l’instant présent finalement ?
Uniquement. C’est pour ça que je ne fais jamais de collections. Et puis comment peut-on présenter une collection quand on est sur un produit frais ? Ah le marketing !
Je vais vous demander de m’associer un plat, un dessert ou un chocolat à un mot aux tonalités féeriques.
Ce n’est pas compliqué, je vais l’associer au vin *.
Pourquoi ?
Quand on boit un peu, on devient complètement différent. On a moins d’aprioris, de peurs…
On est désinhibé ?
Oui le lâcher-prise c’est ça pour moi.
Ce sont de petits moments privilégiés comme le bonheur. On s’imagine que le bonheur est présent tous les jours, mais ce n’est pas vrai. La joie c’est un moment que tu exprimes simplement.
Quel plat pourriez-vous lui associer ?
Ce n’est pas si simple…
Ou qui symboliserait votre dernier souvenir joyeux ?
Je me souviens très bien, j’étais avec Bruno Verjus. Il nous avait fait une Saint- Jacques juste décortiquée, fraîche, une huile de persil fumé, quelques morceaux de pistaches, une fine lame de truffe, accompagnée d’un vin exquis.
Un moment inoubliable ! Le bonheur c’est ça. Il n’y a pas de mot. Vous ne pouvez pas l’exprimer tout comme la tristesse. Les deux peuvent vous désemparer et impossible de dire pourquoi.
C’est savoir accepter que soi-même on fasse des erreurs. C’est savoir accepter que l’autre ne soit pas plus moche que vous. C’est ne pas s’enfermer dans ses propres idées qui sont parfois préconçues. (Il a fait une erreur, il rit de moi, mais comment moi je me suis comporté ?) Le pardon est difficile surtout quand vous y mettez des sentiments. Vous vous sentez bafoué alors que la personne face à vous n’a pas forcément voulu vous blesser. Il y a souvent un manque d’incompréhension. Incompréhension de soi, de l’autre et à travers ça, c’est difficile. On a besoin de revoir nos bases car on traîne un boulet que l’on n’a pas demandé au départ. Il faut d’abord qu’on arrive à se l’enlever et après on doit aller vers le pardon. Le pardon c’est l’amour. Mais l’amour de qui ? L’amour de l’autre ? De soi ? Est-ce qu’on est capable de pardonner quand on n’a pas l’amour de soi ?
Et le pardon envers soi ?
C’est difficile.
C’est un cheminement.
C’est un vrai travail. On peut essayer d’être le meilleur possible mais ce n’est pas simple parce qu’on est aussi fait de sentiments. On est aussi fait d’égoïsme. Le vrai problème est que l’on ne pense pas souvent à soi et quand on pense à soi, on ne sait pas le faire. On le fait mal parce qu’on ne sait pas réellement être égoïste. Notre égoïsme, en tant qu’être humain, on le met en avant quand on en a ras-le-bol. On s’appuie toujours sur la tolérance. Mais pourquoi doit-on être tolérant ? Pourquoi doit-on faire plein de choses dont on n’a pas envie. Je me suis rendu compte de ça depuis pas mal de temps…
Quel plat ou dessert associeriez-vous au pardon ?
Si je pars sur un dessert, ça va être très craquant, fondant, il y aura une amertume, une acidité, un fruité. C’est un équilibre. Pareil dans un plat, c’est la justesse des saveurs et des équilibres qui harmonisent le tout. Un plat ou un dessert, c’est avant tout le produit. Un produit existe quand vous avez un être derrière. Je ne travaille que des produits dont je connais les personnes qui les font. Quel intérêt pour moi de travailler les pistaches et de ne pas avoir eu une fois une relation avec la personne qui me les fournit ?
La féerie, seule, n’existe pas ou alors elle peut exister sur des paysages. La féerie, elle se partage. C’est un sentiment de rêve qui n’existe pas forcément. La féerie n’est pas une réalité mais elle peut l’être aussi. J’aime bien le fait de se dire, elle existe mais elle n’existe pas. J’aime bien cet enjeu entre les deux, un peu comme une frustration. En même temps, la féerie c’est l’éveil de vos sens. Savez-vous vous écouter ? C’est dommage de la limiter à un plat, à une sensation. Je préfère l’associer à un fantasme, à un rêve. Je trouve que c’est beaucoup plus joli. Un fantasme tant qu’il n’est pas réalisé, il vous émeut. Une fois réalisé, pour peu que vous l’ayez mal vécu, c’est un cauchemar.
Vous parliez d’être à l’écoute de soi, vous écoutez votre intuition ?
Oui je l’écoute. Chaque fois que je ne l’ai pas écoutée, j’ai senti l’eau monter. C’est comme avec les êtres. Chaque fois que j’ai embauché quelqu’un et que je ne me suis pas écouté, j’ai eu des problèmes. Sur une recette, si je ne m’écoute pas, ça ne marche pas.
Pour vos recettes, où puisez-vous votre inspiration ?
Les rencontres m’inspirent beaucoup. Je suis quelqu’un qui va facilement vers les autres. Ce qui me plaît c’est l’être humain. L’inspiration c’est un partage. Elle vient de l’autre, pas de vous. Tout existe, on le transforme, on l’adapte à notre société, à nos valeurs et on l’adapte aux valeurs des autres parce que quelque part tout est monnayable, encore plus aujourd’hui qu’avant. Aujourd’hui ce qu’on appelle la création, on l’adapte avec un marketing quitte à tricher. Ça me fait toujours peur ça. Ce qui me plaît, c’est de me dire : « ça existe », je ne vais pas le transformer, je veux simplement présenter le produit tel qu’il est mais comme vous ne l’avez jamais goûté. C’est cette réalité-là qui m’intéresse.
Je vais vous demander de me réaliser un menu qui symboliserait la tendresse ou l’amour. Que préférez-vous ?
Je crois que l’amour c’est comme la tendresse. C’est tellement un sentiment puissant. L’amour – comme j’aimerais le vivre – ce serait aimer sans jamais rien demander, j’en suis incapable.
C’est l’amour inconditionnel.
Je pense que tout être humain attend quelque chose. Dans un menu, c’est pareil. Vous allez au restaurant pour déguster des plats, retrouver des saveurs…
Je peux donner énormément mais je supporte difficilement le vide.
Mais vous seul pourriez le combler ?
Non c’est impossible.
C’est forcément l’autre qui peut le faire ?
Non ce n’est pas forcément l’autre mais c’est un univers autour de vous. Je ne le rattache pas qu’à un individu. Je pense qu’on a besoin de cet équilibre pour être comblé mais on ne l’a jamais. Je considère que l’amour sera celui qui sera raisonné, celui qu’on vit tous plus au moins, que je refuse. Et puis il y a celui – que je préfère -qui va vous mener dans le mur. Celui qu’on appelle la passion. Dans mon métier, je ne veux pas qu’on fasse le lien en disant c’est un passionné.
Parce que vous y donnez une connotation négative ?
La passion c’est le déraisonnement de la vie. Quand vous êtes dans un cadre d’entreprise, avez-vous le droit d’être déraisonné ? Avez-vous le droit de jouer avec les personnes qui sont là ? Quand vous êtes dans une passion avec un individu, vous ne jouez pas avec l’autre, les deux jouent. Il y aura une fin. C’est s’appartenir sans ne plus s’appartenir. Et puis savoir qu’autour, tout devient différent. Vous créez une bulle et même temps c’est un tel égoïsme, vous vous étouffez, vous étouffez l’autre et vice-versa.
Revenu au menu, quelle entrée feriez-vous ?
Je vous citerai l’entrée de Bruno Verjus dont je vous ai parlé précédemment.
Si j’avais un plat à choisir – ce n’est pas facile parce que j’en aime tellement et on ne les aime pas tous de la même manière au même moment – ce serait le homard d’Alain Passard ou Bruno Verjus. Vous avez une cuisson exceptionnelle « cru – cuit ». Vous avez une pièce qui est translucide sans l’être. Souvent le homard c’est spongieux, élastique, je n’aime pas ça et je trouve qu’en goût c’est insipide. Mais là, vous avez ce côté iodé. Vous avez tout, cette belle accroche dans les dents, ce parfum qui vous embaume juste avec un beurre clarifié, qui a pu être parfumé au foin, avec quelques notes de gingembre. Je trouve que c’est un plat magique.
Si j’allais sur un dessert, ce serait un soufflé aux zestes de citron vert et au miel d’acacia.
Pourquoi ce dessert ?
Vous avez toute cette évanescence de l’acidité par le citron vert, sa fraîcheur. Vous avez ce côté voluptueux grâce à la crème pâtissière et en même temps qui fond dans la bouche. Un peu comme un œuf en neige quand il est bien réussi. Ce miel va parfumer votre palais. Quand vous avez un vrai miel d’acacia, vous avez l’impression de ressentir ces fleurs. Le vrai partage entre la nature, le produit, et la réalisation de la personne, je trouve ça fabuleux. J’aime les métiers de bouche grâce à ça. En revanche, soyons sincères, nous recherchons tous de la reconnaissance. Quand je vous dis que l’amour est égoïste, c’est la vérité. On n’a pas le droit de se cacher. Qui n’a pas envie d’être aimé ?
Pour conclure, si vous aviez une baguette magique, à quoi vous servirait-elle ?
J’aimerais que l’humanité connaisse l’amour.
* L’abus d’alcool est dangereux pour la santé
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