Le Dr Louis Fouché est médecin anesthésiste-réanimateur, diplômé en éthique médicale (spécialisation anthropologie), et l’un des porte-paroles de Reinfocovid, collectif de médecins, de scientifiques, de chercheurs, d’artistes et de citoyens.

Son livre « Tous résistants dans l’âme » – entretiens avec Stéphane Chatry est paru aux éditions Guy Trédaniel.

https://www.editions-tredaniel.com/tous-resistants-dans-lame-p-9582.html

 

 

Pour découvrir Reinfocovid :

https://reinfocovid.fr

https://www.facebook.com/CollectifReinfoCovid/

https://www.youtube.com/channel/UC4R3K3ef5qde326BhxDILCQ

 

 

« Se réinventer, se relier au vivant et se connecter à son âme en temps que crise » est le thème des « Rencontres lumineuses » de ce mois-ci. Je remercie Louis Fouché d’avoir accepté ma nouvelle invitation. Chaque lundi, je vous partagerai une partie de son interview.

 

 

Tu es médecin anesthésiste-réanimateur, en quoi consiste ta profession car depuis plus de deux ans on entend tout et n’importe quoi ?

Vaste Question ! C’est quoi la réanimation ? C’est quoi l’anesthésie ? Les deux morceaux de la spécialité s’apprennent de pair en France. Et souvent, le praticien finit par s’orienter plutôt dans une voie ou l’autre, plutôt l’anesthésie ou plutôt la réa. 

 

En anesthésie, on fait tout ce qu’on peut pour que le patient traverse l’expérience du bloc opératoire et de la chirurgie sans encombres. C’est une spécialité hyper technique. Pendant le temps de l’anesthésie, on va s’occuper des fonctions vitales du patient. Maintenir avec des machines, avec des perfusions, la tension, équilibrer les échanges gazeux, tenir le bon niveau d’analgésie et de narcose, de relaxation des muscles, transfuser si nécessaire. Tout ce qu’il faut pour que le patient ne souffre pas mais aussi pour lui éviter au maximum la iatrogénie et les effets secondaires. Le patient confie son corps. À l’équipe d’anesthésie d’en prendre soin, avec un maximum de sécurité. C’est une spécialité au cœur du bloc opératoire, enfermée dans ce monde parrallèle. Il y a tout le champ de l’anesthésie générale mais aussi celui des anesthésies locorégionales qui consiste à bloquer le passage de l’influx nerveux le long des nerfs pour éviter la douleur et les mouvements.

     

En réanimation, on soigne les patients qui ont besoin de soutien temporaire pour une ou plusieurs de leurs fonctions vitales. Pour le dire simplement, n’importe quelle maladie, quand elle devient grave, finit par retentir sur les « fonctions vitales  » :  respiratoire / hémodynamique / neurologique / rénale et métabolique / Hépatique et digestive / et Hématologique.  C’est une modélisation simpliste mais pragmatique. Que tu aies un Covid, un AVC, une pneumonie, un traumatisme grave… à la fin… tu vas avoir tes fonctions vitales qui ne sont plus capables de te maintenir en vie. La réanimation arrive à ce moment-là. Elle prend en charge les fonctions vitales. Elle te maintient en vie. Les américains disent que la réanimation sert à achèter du temps (to buy time). Mais ce sont des américains, pour eux tout s’achète et se vend  😉  On aide la respiration par de l’Oxygène, puis on l’assiste par une machine pour aider à respirer puis carrément en remplaçant la respiration par un respirateur ou même une circulation extracorporelle qui aide à l’oxygénation (entrée de l’O2) et à la décarboxylation (sortie du CO2).

De même pour l’hémodynamique qui sert à faire circuler le sang et amener l’oxygène de dedans jusqu’à la cellule qui en a besoin. Nous sommes capables de maintenir la tension artérielle avec des perfusions ou des médicaments très puissants comme l’adrénaline ou la noradrénaline. On peut même soutenir ou remplacer le cœur par une machine de circulation extracorporelle. On peut remplacer les reins par une machine d’épuration extrarénale (un peu comme la dialyse), etc… 

La réanimation dispose de moyens colossaux pour maintenir en vie. La question est plus souvent éthique que technique. La réanimtion est prise dans un champ de tension entre ce qui est techniquement faisable et ce qui est éthiquement souhaitable. Ceci c’est en temps normal. Mais dans le cas d’une épidémie, on est dans ce qu’on appelle un afflux saturant de victimes. Il y a trop à faire par rapport à ce qu’on sait faire. Alors il faut faire un tri.

Les thérapeutiques suspensives entreprises en réanimation pour pallier aux fonctions vitales défaillantes sont grevées de nombreuses complications et d’une lourde iatrogénie. On ne peut pas impunément considérer le corps comme une machine. Cela finit par laisser des traces, des séquelles. C’est la grande difficulté de la réanimation. Les patients n’en sortent jamais améliorés quant à leur condition préalable. Ils y perdent des plumes. C’est une descente aux enfers où le corps se retrouve criblé de tuyaux, de machines, de surveillances en tous genres… Il n’y a pas de jour, pas de nuit, des bip bips dans tous les sens. C’est extrêmement angoissant pour les familles et les patients. Faire subir un séjour en réanimation à quelqu’un qui n’en aura aucun bénéfice à moyen terme est proprement inhumain. La réanimation est donc ce lieu étrange, tout artefact, antichambre à la frontière de la mort, où l’on essaie d’accompagner une transition. Les décès y sont fréquents. Par la gravité des pathologies mais surtout par le choix que nous faisons de ne pas poursuivre une obstination déraisonnable. La plupart des patients qui décèdent le font car les équipes décident d’arrêter les thérapeutiques actives curatives et d’accompagner décemment une fin de vie. C’est à mon sens le cœur vibrant dans cet environnement si déshumanisé, le vrai enjeu du métier : prendre soin, ranimer humblement et accompagner tous ceux qui doivent décidément s’en aller.

    

 

Au début de la crise Covid, tu as été au cœur de l’action, comment l’as-tu vécu ?

Il nous avait été dit dans mon service que nous ne ferions pas de Covid. Et puis, surprise, nous en avons fait. Comme toutes les réanimations de France. Ce surmenage des réanimations a été en partie dû au volume de  l’épidémie, mais surtout à l’absence de recours à la première ligne de soin que constitue la médecine de ville. On a dit aux généralistes de ne pas s’occuper du Covid. On leur a interdit de prescrire certains traitements. On a laissé les personnes agées en Epadh sans diagnostic et sans soin. En un mot, on a laissé les gens s’aggraver sans rien faire pour surveiller ou empêcher la survenue de formes sévères. Cela reste pour moi un scandale qui méritera que l’on se pose pour en discuter et trouver comment éviter cela à l’avenir. C’est comme si nos tutelles avaient cédées à la panique.

C’est pourtant le bons sens et la base de tout retour d’expérience : si vous avez un problème de surcharge en réanimation : que se passe t-il en amont où vous pourriez faire mieux et freiner l’afflux ? Que se passe t-il en aval ou vous pourriez accélérer la vidange de l’hôpital vers la ville ? Ces questions-là n’ont pas été posées. 

Pour ce qui est de la réanimation proprement dite, les procédures proposées par les tutelles se sont révélées inadaptées et délétères. Cela est compréhensible face à une nouvelle pathologie. Mais il a fallu du temps pour les changer. Encore une fois, l’absence de retour d’expérience bien conduit a abouti à majorer les victimes. La réanimation des patients Covid n’est pas en soi bien compliquée.

On peut discuter pendant des années des traitements utiles. Pour cela on a besoin du recul des cliniciens et d’études scientifiques impeccables. On n’a fait la place ni à l’un ni à l’autre. Les cliniciens qui ont expérimenté et constaté des traitements efficaces ont été littéralement censurés et punis par leurs tutelles administratives. Bêtise, incompétence ou corruption ? Probablement les trois. Je suis sous le coup comme nombre de mes confrères d’une procédure disciplinaire ordinale. 

Les enjeux financiers et politiques de corruption systémiques sont devenus tellement pregnants qu’ils mettent en relief la mort programmée de nos institutions. 

Pour ma part, j’ai eu peur. Puis je n’ai rien compris. Puis j’ai été en colère. Et puis j’ai crié à l’aide. Et contre toute attente, alors que je n’espérais plus rien. Elle est arrivée. Alors j’ai pu me relever et avancer. Mais il fallait accepter de tout quitter.

    

 

 Tu as créé Reinfocovid avec d’autres médecins, des scientifiques, des chercheurs, des artistes et citoyens. Quelles sont ses buts ? Sa mission ?

Merci d’en parler. Parce que c’est un très beau collectif fait de personnalités, d’avis, de compétences, de regards éminemment multiples et variés. Ce collectif est vivant, tout tissé de biodiversité. Et je suis honoré d’en être un des porte-paroles, un des diplomates. D’abord fait de soignants et de médecins, puis de chercheurs et d’universitaires, il s’est rapidement nuancé de citoyens, de restaurateurs, d’enseignants, d’artistes, de parents d’élèves, de retraités… Et j’en passe. D’emblée la beauté était importante pour nous tous, et le côté vivant, dynamique et évolutif. Les raisons d’être qui nous structurent collectivement en un « Nous » passent leur temps à évoluer, au gré des arrivants, des départs, des frictions, des envies. Elles sont actuellement énoncées comme ceci :

  • Mettre en lien tous ceux qui veulent agir         
  • Aider nos concitoyens à sortir de la peur et de la colère pour être dans la prudence et le courage        
  • Proposer une autre politique sanitaire                   
  • Aider à réouvrir l’espace du débat démocratique et scientifique

Ces 4 raisons d’être sont servies par une ligne de conduite : celle de la non-violence. Attention la non-violence est souvent mal comprise comme une position mièvre. Non. Il ne s’agit pas de dégommer des adversaires, non. Il s’agit de créer et tenir un rapport de force, pour en faire émerger un dialogue. Il s’agit de marcher vers des réconciliations plutôt que vers des violences mimétiques infinies, selon la formule de René Girard dans « la violence et le sacré ».

La posture de la non-violence est extrêmement importante. Vous ne pouvez pas vouloir la paix là devant si vous ne l’avez pas là-dedans. Et cette paix-là est sans cesse remise sur le métier. Elle nécessite d’être bien ancré, bien individué pour pouvoir écouter la contradiction sans se sentir menacer. Pour l’écouter comme une richesse, comme un cadeau fait pour évoluer ou se raffermir. Alors voilà une clé importante : le conflit est une chance et est fécond. Pour autant qu’on accepte sans peur de le traverser.

Reinfocovid est apartisan. Tout le monde est bénévole. Il n’y a pas d’argent. Pas même de statut officiel. Et pourtant nous travaillons beaucoup à la gouvernance, au partage du pouvoir, aux modèles de prise de décision, à la traversée des conflits. Reinfocovid est l’outil de la création d’une proposition de politique sanitaire juste et proportionnée. Il est le premier pas vers une proposition concrète de vivre ensemble désirable au-delà du soin.

Nous sommes composés de cercles : celui des médecins et des soignants, celui du recueil des témoignages, de l’analyse critique des articles scientifiques, de l’Art et de la Beauté, du lien aux collectifs locaux soignants et citoyens, de l’activisme numérique, des portes-paroles, des mathématiciens, des avocats, etc…

Les lecteurs peuvent se mettre en lien eux aussi. Reinfocovid est une impulsion à agir, à s’individuer pour choisir son destin dans la matière. Il n’y aura pas de sauveur dans cette crise. Ni Véran, ni Raoult, ni le vaccin, ni rien d’autres. Pas de baguette magique. Il n’y a que Nous qui puissions nous mettre ensemble et agir, à tous les niveaux que nous pouvons. 

Des bébés reinfocovid existent et maillent un peu partout le territoire. De nombreux autres collectifs existent et se structurent partout. Les lecteurs peuvent les retrouver sur le site dans l’onglet « agir à sa façon ». Nous sommes ceux que nous attendions. Il est temps d’agir dans le réel et pas derrière des écrans. Chacun a son rôle à jouer, sa créativité à aiguilloner.

 

https://reinfocovid.fr/

https://www.youtube.com/channel/UC4R3K3ef5qde326BhxDILCQ

https://www.facebook.com/CollectifReinfoCovid/

 

 

 

 

Découvrez la suite lundi prochain…

 

    

Valérie Motté

"AVEC NOS PENSÉES NOUS CRÉONS LE MONDE" BOUDDHA

Copyright : Valérie Motté

RSS
Facebook
Twitter
LinkedIn
Instagram