Êtes-vous à l’écoute de votre intuition ? J’ai l’impression que oui au vu de ce que l’on a déjà échangé.
J’essaie de l’être. Pendant longtemps, je ne l’ai pas été. La façon dont je me figurais les choses était plus importante que ce que je pouvais ressentir. Combien de fois je suis sortie avec quelqu’un parce qu’il était beau, marrant ou intelligent mais je ne ressentais rien. Maintenant je suis beaucoup plus à l’affût. Ou même se forcer à travailler avec quelqu’un parce qu’on se dit que ça va nous apporter quelque chose. Est-ce que c’est la bonne personne à ce moment-là ? En fait quand on commence à se rendre compte qu’avec cette personne ça ne donne rien de vraiment bien, que c’est de l’eau de vaisselle… C’est faussé. Je fais très attention à ça et maintenant je suis beaucoup plus intuitive. Mais je pense que ce qui nous rend plus intuitif c’est l’échec. L’échec a une grande vertu, il nous avertit de quelque chose. Je parle d’échec personnel pas d’un disque ou d’un livre qui ne se vend pas, c’est tellement aléatoire. Je parle d’une amitié qui se perd, d’un isolement qui survient. Ça doit nous alerter. C’est un signal. C’est là où l’intuition intervient.
Pour moi, il n’y a pas d’échec. C’est un enseignement.
Oui c’est un enseignement. C’est un échec à partir du moment où on a l’impression de perdre quelque chose et d’avoir raté quelque chose. Par exemple on a raté une relation, on a perdu une amie très chère. Je sais que maintenant il faut toujours être positif à tout prix mais quand même il faut mettre des mots vrais.
Bien sûr.
Ça fait du mal.
La souffrance n’est pas une illusion. On est incarné. La personnalité terrestre égotique souffre. En revanche, je me dis que les choses n’arrivent pas non plus par hasard et c’est une forme de cadeau qu’on ne voit pas sur le moment quand on vit une épreuve extrêmement douloureuse. Si on s’en sert, ça nous permet de grandir.
Absolument. Pour ça, il faut avoir envie. Il faut se dire : « Il s’est passé ça dans ma vie. Pourquoi ? Et après on peut remettre en perspective le déroulé. On peut avoir ce regard aussi. L’échec est un enseignement.
Et vous êtes à l’écoute de votre corps ? De ce qu’il vous transmet ?
Oui très à l’écoute. Je ne suis pas hyper gentille avec lui. Quand on fait beaucoup de danse, on est brutal avec son corps ou du yoga, à un moment donné, on se met dans des positions incroyables, on est obligé de le renforcer et on lui dit : « Suis mon grand ». Je fais attention à mon corps dans le sens où quand j’ai mal quelque part, je me demande ce que ça veut dire.
Du coup, vous êtes à l’écoute du message ?
Oui, du symbole du mal. On a une angine, c’est parce que tu en as marre de parler, tu as mal aux oreilles, tu ne veux plus entendre… Tu as mal au dos c’est parce que tu as trop de poids sur toi. Mais en fait quand on pousse un peu plus loin, c’est beaucoup plus subtil que ça. Je suis allée voir une micro-kiné une fois car j’avais de grosses douleurs au dos. J’en ai plein le dos, c’est ce qu’on se dit. Pas du tout, le dos c’est la famille donc il y a un nœud qui se passe avec…
Parfois avec le transgénérationnel.
Oui mais ça peut être aussi avec son père, sa mère, son enfant ou un truc qu’on ne connait pas d’ailleurs. C’est beaucoup plus subtil que le premier message. Le premier message, c’est déjà bien de l’entendre mais j’ai envie de dire qu’il y a…
Une petite introspection à faire.
Oui. Par exemple, après la mort de mon père, j’ai eu mal aux genoux pendant des mois et il se trouve que le genou était en rapport avec ça, avec la mort de mon père. C’était au genou gauche et j’avais l’impression qu’on m’enfonçait un tournevis dans le genou. En tout cas, la douleur qu’on ressent s’incarne à un endroit.
Aujourd’hui qui est Jil Caplan ?
Une angoissée, toujours. Peut-être plus qu’avant même. Le temps se réduit devant moi, c’est une source d’angoisse. « Ça je ne vais plus pouvoir le faire et ça je ne vais plus pouvoir le faire non plus. Là c’est limite et si tu ne te dépêches pas, tu ne vas certainement pas y arriver ».
Il y a une peur de vieillir ?
Oui bien sûr de façon évidente. Je ne suis pas du tout sereine avec ça. C’est parce que le corps s’altère, ce n’est pas agréable. Tout ce qui fait la fraicheur, la beauté, tout ça s’altère aussi. C’est compliqué. On aimerait être toujours mince, belle, ferme, en forme, pleine d’appétit. Pouvoir faire un enfant quand on veut. Tomber amoureuse quand on veut. C’est le cycle de la vie, on n’y peut rien. Je l’accepte et je ne l’accepte pas. Je suis bien obligée de l’accepter mais au fond de moi, ça gronde.
Êtes-vous à l’écoute de votre enfant intérieur ?
C’est quoi l’enfant intérieur, je ne sais pas ce que c’est.
C’est la petite Jil qui permet de se reconnecter à la féerie, à l’émerveillement, à l’instant présent, au jeu, à l’espièglerie. Parfois elle peut avoir été blessée enfant, elle peut avoir ses peurs, ses doutes et du coup on dit qu’il n’y a que la grande qui peut la rassurer. Quand elles sont bien en communion l’une et l’autre, c’est ce qui permet d’être un peu plus en équilibre sur le chemin. Chez les artistes, cet enfant est souvent présent parce que la scène – même si c’est un travail et que ça demande du professionnalisme – ramène à l’instant présent.
Ça demande de la maîtrise. L’instant présent, cet appétit dont vous parlez, cette joie, elle est dans plein d’endroits. Je me souviens très bien des émotions que j’avais quand j’étais petite et je me dis parfois que je ne suis pas si différente. J’ai toujours les mêmes attentes, la même vulnérabilité. L’enfant intérieur est avec moi. Je n’ai jamais été séparée de cet enfant intérieur. Après il y a une partie de moi qui analyse. Pourquoi cette gamine a fait la femme que je suis devenue ? Là on se connecte évidemment à ce que l’on a vécu, aux copains qu’on a eus, les paroles qu’on nous a dites, les bonnes comme les destructrices, les parents qu’on a eus, les amis et on peut mettre les choses en perspective.
Vous avez des souvenirs d’enfance qui vous ont marquée ? Quand vous y repensez, ça vous met dans cette joie ?
J’étais une enfant très joyeuse, je riais beaucoup, je faisais le pitre mais je n’ai pas de grands souvenirs de joie. Si peut-être quand je skiais. Le mouvement. Mes parents m’envoyaient en vacances à Noël, je n’ai pas de souvenirs de Noël avec mes parents. Je suis fille unique. J’ai été coupée d’une partie de ma famille. Je n’ai pas eu de cousins.
Il y avait une solitude ?
Oui une grande solitude. Ce n’est pas pour rien que je suis tombée amoureuse d’hommes qui avaient une grande famille. À chaque fois, j’essayais de me glisser dedans. Je ne pourrais pas parler de joie mais d’espièglerie, de pitrerie, d’un personnage qui est en train de se construire pour supporter tout ça.
Vous avez choisi I will des Beatles pour symboliser l’enfance. Pourquoi ?
J’avais acheté une compilation des Beatles, j’écoutais I will que j’adorais et qui est très naïve, très simple, apparemment simple et donc j’étais toute seule dans ma chambre et j’écoutais ça pendant des heures. Pour moi c’est l’attente de l’espoir, de ce que l’on va devenir. Comment on sera plus grand, plus tard ?
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